de tabacs Bentchicou à Constantine
La municipalité de Constantine avait aménagé au 19e siècle un « chemin des touristes » dans les gorges du Rhumel pour permettre leur visite à un niveau relativement bas. Ces aménagements sont tombés en ruine vers la fin des années 1940 mais vers la fin de l’hiver 1945-1946 ils étaient encore tout à fait praticables par une femme enceinte car maman les visite en compagnie de Clémy, une amie, et d’Ahmed Belakhal, un cadre de l’entreprise Bentchikou (l’orthographe du nom varie à travers les années). Maman avait pris la caméra Kodak 8mm familiale qui a été opérée principalement par Ahmed car les deux femmes apparaissent ensemble dans la majorité des plans. Cet article explique l’histoire du bâtiment impressionnant qui y est en vedette sur la rive gauche du Rhumel, juste en amont de la passerelle Perrégaux.
Ce bâtiment est le lieu où était fabriqué le tabac Bentchikou à l’époque. Mais cette fabrique n’est que la deuxième sur trois dans l’histoire de l’entreprise. La première fabrique était simplement installée dans un espace annexe de la propre maison de Salah Bentchikou, le créateur de la manufacture en 1865, non loin du palais des Beys au 9 rue des Frères Béraud. Son jeune frère, Saïd, né en 1850, a cogéré l’entreprise avec son frère aîné sans doute assez tôt. Les deux frères feront par la suite beaucoup de choses ensemble. Salah avait un penchant plus commerçant et vers 1890 se consacre au commerce du blé puis adhère à la Chambre de Commerce de Constantine en 1891 en laissant à Saïd la gestion complète de la manufacture. Le succès venant, ils continuent ensemble dans les affaires.
À la fin du XIXe siècle, ils achètent un terrain pour construire une nouvelle fabrique mais la mairie fait jouer son droit de préemption pour y faire construire la Médersa, le grand bâtiment d’enseignement musulman que l’on voit dans le film entre l’usine et la passerelle Perrégaux. Saïd entame une bataille juridique contre cette préemption avant de se résigner et de faire construire la fabrique sur le rebut du terrain que lui laissait le projet de Médersa. C’est pour cela que pour se créer de l’espace son architecte est descendu si profondément le long du rocher abrupt avec des piliers de fondation apparents. Une fondation sur bedrock est idéale si le rocher est sain. En général elle est invisible car il y a au dessus des couches de sédiments. Ici elle est apparente.
Dans sa quarantaine avancée, grand-père Saïd n’arrivait toujours pas à avoir d’enfant survivant le bas-âge avec grand-mère Atika. Il prend alors une jeune deuxième épouse, Lella Fella, et au moment même où le terrain était disputé et les constructions démarrées, les deux épouses mettent au monde les premiers de huit enfants viables et qui survivront longtemps. Le petit dernier a été Papa en 1913 mais Saïd meurt deux ans après sa naissance.
Il y a pagaille dans la maisonnée. Grand-mère Atika, qui a eu au total sans doute une quinzaine d’accouchements dans sa vie mais qui n’a pas un grand instinct maternel délaisse son petit dernier à tel point que sa nourrice, Messaouda, l’enlève pour le mettre en sécurité dans son village. C’est sans doute dans cette période de sa petite enfance (à partir de la mort de son père) que papa se cassera l’index de la main droite et se brûlera le cuir chevelu en trébuchant sur un kanoun (braséro) sans recevoir de traitement médical. On n’enverra chercher Messaouda et papa qu’après un long délai (mois? ans?). Un descendant de Salah, Abdelkrim, reprend alors la direction de l’entreprise et la gérance des affaires de la famille laissée par Saïd jusqu’à sa propre mort.
À la mort d’Abdelkrim, l’aîné des fils de Saïd, Omar né en 1901, prend la direction de l’entreprise et la tutelle de la famille. Une procédure judiciaire est engagée mais les héritiers d’Abdelkrim sont déboutés et les héritiers de Saïd sont reconnus seuls propriétaires de l’entreprise de tabacs. Il y a un clivage agriculture / industrie entre les héritiers de Salah et ceux de Saïd.
En effet, les héritiers de Salah sont aussi les héritiers de la première épouse de Salah, Sacia née Koutchouk-Ali, qui est décédée sans enfant mais a légué ses biens considérables aux enfants de la deuxième épouse de son mari. Ces biens sont des terres agricoles autour de Constantine (plus de 280 ha aujourd’hui intégrés au périmètre urbain et appelés « quartier Bentchikou »).
Omar a donc pris en main la direction de l’entreprise et des affaires familiales avec l’aide principalement de son demi-frère cadet Allel. Cette gestion est bonne et la troisième et dernière fabrique sera alors construite de l’autre côté des gorges du Rhumel, juste en face, au début des années 1950.
La source principale de ces informations est Koudir Benchicou